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28 août 2007 2 28 /08 /août /2007 11:20
  2nde partie et fin



Sur la route, je commençais mon questionnaire : les différences de couleurs sur la tarte, les travaux dans la maison et leurs dates d’achèvement. Je passais toutes ces remarques sur le registre de la curiosité plus que sur celui de la critique. La maison était toujours dans cet état : dans un souci d’économie, le père se chargeait lui-même des travaux, ce qui traînait en longueur étant donné qu’il devait souvent faire puis défaire. Personne n’est à l’abri des ratés. Et puis faire et défaire, revient toujours à travailler.

L’explication de la tarte était beaucoup plus épique : chacun avait des goûts différents en matière de desserts. La mère segmentait avec exactitude les parts en fonction des goûts de chacun. Certaines parties étaient saupoudrées de sucre supplémentaire ou pas sucrées du tout, d’autres comportaient des morceaux de fruits hachés plus menus, et les derniers étaient une combinaison des trois facteurs (je vous laisse le soin de calculer le nombre de combinaisons possibles !). Après cette explication, j’éclatai de rire et demandai d’un ton amusé : « Et pour la salade, si chacun a ses propres goûts, comment vous faites ?

     -On ne met pas de sauce. Ma mère prépare des récipients avec la sauce que chacun préfère. On fait ça aussi pour les pizzas ou pour la sauce des pattes. » répondit mon copain d’un ton tout à fait sérieux.
    -Bonjour le boulot pour ta mère !! » m’exclamai-je.
    -
Non pourquoi, elle ne travaille pas ? » demanda-t-il, avec toujours autant d’aplomb.
Son air sérieux me laissa sans voix.

Pour la première fois, il me parla plus longuement de sa famille. Son père travaillait en équipe ce qui lui laissait suffisamment de temps pour s’occuper de la maison. Sa mère, elle, ne travaillait pas puisqu’elle s’occupait de la maison. Cette dernière remarque résonnait comme une évidence. Je bouillais intérieurement.
Je gardais mes remarques les plus acides pour moi : le ton employé envers cette femme, l’attitude misogyne des mâles de la famille, le prix exorbitant des cadeaux aux vues de la description qu’il m’avait fait de sa famille. Tout à coup, je ne le reconnaissais plus. J’avais à côté de moi un type méprisant et méprisable. Il était en opposition totale avec mes grands principes de l’époque.

 
    La semaine qui suivit, je m’arrangeais pour le voir moins souvent. Je devais prendre du recul. Il remarqua mon absence physique et psychique d’autant plus que le voyage du retour entre la ville où nous suivions nos cours et le domicile de ses parents fut muet. Une fois arrivés, il me proposa d’entrer pour que nous passions un peu de temps ensemble aux vues de la semaine écoulée.
J’acceptais d’un signe de la tête, le petit rictus crispé en prime. Aujourd’hui encore, je ne sais pas pourquoi j’acceptais puisque mon être tout entier ne demandait qu’à s’éloigner de ce goujat grandissant.

 La mère était seule. En entrant, il passa devant moi pour jeter son sac au milieu du couloir. Je le rattrapais par le bras pour lui désignais son sac de la tête. Sa mère apparut presque aussitôt, l’embrassa et prit le sac pour l’emmener je ne sais où. J’étais sans voix. « T’as fait ma chambre ? » lui demanda-t-il avec autorité. Elle répondit par la positive. Il me proposa donc de monter dans sa chambre. Il m’écœurait. Je prétextais beaucoup de boulot en retard pour quitter cette maison d’un autre temps. Il haussa les épaules et s’en fut vers le salon où trônait la télévision. Il ne me raccompagna pas. J’étais révoltée.

Sur le chemin du retour, j’envisageais une façon bien personnelle de soulager cet écoeurement. Je passais mon week end à imaginer des stratagèmes, des scénarios tous plus « tirés par les cheveux » les uns que les autres. En allant le chercher le dimanche soir, je klaxonnais dans la cours comme à l’accoutumée. La mère sortit et me proposa d’entrer pour boire une tasse de thé. Je refusais poliment : l’idée de retrouver cette brochette de mollusques affalés sur leurs canapés respectifs me faisait rager.

            Mon copain me rejoignit et nous priment la route, toujours aussi froidement. Soudain, je me sentis apaisée : je venais de trouver une idée plutôt intéressante pour « corriger » ces malotrus. J’allais les prendre à leur propre jeu. Je brisais le silence : « C’est quand l’anniversaire de ta mère ?

-      Pourquoi tu demandes ça ?

-          Bah, tes parents sont super sympas avec moi. Je me suis sentie bête de ne pas participer au cadeau de ton père, même si vous lui avez fait des cadeaux très chers. Du coup, j’aimerais bien offrir un petit truc pour l’anniversaire de ta mère.

-          Mais, on lui offre rien pour son anniversaire. Répondit-il explosant de sincérité.

-          Jamais ? Alors, vous offrez des trucs hors de prix à ton père mais jamais rien pour ta mère ? » demandais-je, en serrant les dents. Cette famille dépassait tout entendement humain.

« Bah en fait, ce qu’on offre pour mon père fait office de cadeau pour ma mère aussi. C’est pour ça qu’on met plus d’argent dans l’anniversaire de mon père.

-          Et bien moi, j’aimerai tout de même fêter l’anniversaire de ta mère. Je pourrais bien lui offrir un petit quelque chose pour elle. Elle le mérite autant que ton père. Alors cet anniversaire, c’est quand ?

-          Dans 3 semaines, mais elle ne va pas comprendre puisque on ne l’a jamais fêté. »

Voilà, j’allais changer les habitudes machistes de cette famille. J’allais libérer cette femme de ces trois oppresseurs. Je ne lâchais pas mon idée d’anniversaire. Je vivais l’attente de cet instant comme le soldat qui vient au secours d’une forteresse prise depuis des temps immémoriaux. Je m’assurais que mon copain ait bien prévenu ses parents et son frère de ma venue et de mon intention d’offrir quelque chose pour cette « pauvre femme en péril ». Tout était prévu. Plus les jours passés, plus, je découvrais les tendances misogynes (et naturelles, c’est ça le pire !) de mon chéri du moment. J’en arrivais à me demander si je ne restais pas avec lui dans l’unique but de délivrer sa mère.

            Le dimanche de ma venue, elle ne m’accueillit pas dans la cour. Je sonnais puis entrais accueillie par l’aboiement d’un des mâles. J’avais acheté un bouquet archi-soigné chez un fleuriste de renom. Je trouvais sa mère, à « sa place », dans la cuisine. Elle préparait une tarte, sans bougie, avec les mêmes parts pré tracées que la dernière fois. Je lui tendis mon bouquet, persuadée que j’étais sur le point de déclancher chez elle une émotion ou une joie incomparable puisque enfin, quelqu’un pensait à son anniversaire. « Bon anniversaire ». Elle leva les yeux et sans même esquisser un sourire, elle répondit d’un ton monocorde dénué d’émotions : « Ah, merci, il ne fallait pas, je vais les mettre dans l’eau ». Déçue par ce manque enthousiasme, je me demandais si une plante verte n’aurait pas joui d’un succès plus important. Les mâles entrèrent dans la cuisine et s’essayèrent autour de la table. Je proposais de passer au salon ce à quoi le père me répondit sèchement : « Non, il n’y a rien à la télé et on va mettre des miettes partout. ».

            Plus tard, j’appris qu’elle n’avait effectivement pas compris mon geste. Je découvris également que l’idée de fêter son anniversaire l’avait ennuyé plus qu’autre chose : cette après midi-là, elle avait prévu de raccommoder les chaussettes et les caleçons des mâles. Là, encore, chacun avait ses petites préférences qu’elle respectait à la lettre (celui qui préférait les coutures intérieures, l’autre à l’extérieur…). En fait, elle n’avait jamais apprécié les fleurs coupées. Elle trouvait que les plantes vertes prenaient trop la poussière.

 

            Je mis fin à ma relation avec le petit ami concerné, quelques jours plus tard. Je commençais à me sentir transparente. Je mettais moins de fougue à défendre mes opinions féministes.

Personne, dans l’entourage de mon ex, ne me cacha que sa mère ne m’appréciait guère. Elle trouvait que je donnais de drôle d’idées à son fils : faire la vaisselle ou encore mettre la table ! Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait repriser elle-même ses chaussettes puisqu’il avait une petite amie officielle. Je ne cachais pas non plus mon opinion de cette femme que je considérais comme une esclave volontaire.

            Le temps a passé et aujourd’hui, je vois les choses d’un autre œil. Je regrette mon obstination même si autre partie de moi la justifie par mon jeune âge. Cette histoire m’aura appris que les opinions divergent souvent et que personne n’a le savoir absolu. Comme dit le proverbe : chacun voit midi à sa porte. Ce n’est pas parce que cette femme ne pensait pas comme moi qu’elle avait forcément tords !

THE END
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